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texte
de pochette |
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Longtemps
il me sembla que seul le poumon justifiait le saxophone et expliquait
le saxophoniste. Me reviennent en mémoire les images et les
sons de ces sculpteurs hargneux, car libres, que je découvris
sur scène, encore adolescent, d'abord par hasard, car noyés
dans ces programmations mixtes des manifestations des premières
années 70, entre un chanteur pop, un gratteur folk et un
groupe de rock. Immédiatement je fus frappé par la
dimension sportive et, simultanément, la charge poétique
(je pense par exemple à Griffin), et finalement à
cette présence forcément désespérée,
tentative ultime (on en est toujours là, fort heureusement)
de donner à entendre un langage issu d'un très haut
niveau de culture et de pensée avec le simple outil composé
du souffle et de certaines articulations (je me permets ici cette
simpliste plaisanterie qui consiste à associer rapidement
ce fameux langage articulé et la mécanique subtile
des ces tuyaux brillants).
J'ai
vieilli ensuite, devenant perplexe devant cette incompréhension
persistante entre deux petites familles mesquines incapables de
s'écouter, celles des guitares électriques et celles
des saxophones, avant de décider que les problèmes
intellectuels (?) des uns n'étaient plus les miens.
Puis
vinrent à mes oreilles le travail de Daunik Lazro, celui
d'Evan Parker et il y a une quinzaine d'années celui de Michel
Doneda. Et je repris plaisir à écouter les tuyaux
magiques, prenant le temps cette fois-ci de rencontrer les personnes,
plutôt que leurs images scéniques.
Mon inculture grandissante me permettant d'éviter le plus
souvent le jeu des références et comparaisons, je
m'autorise, avec ce que je définis souvent comme une plongée
en improvisation, des plaisirs prolongés au-delà de
tout comportement lié à la consommation. Ainsi, selon
l'état psychique ou physique, un enregistrement tel que celui
que l'on peut écouter ici permet enfin d'envisager la musique
ambiante de manière noble (sachant que là je touche
à des valeurs douteuses, mais une fois de plus quittons la
culture pour le son, y compris celui des mots) ou d'approcher réellement
la vibration de l'air dans sa propriété psychédélique.
Doneda
peut indéfiniment pousser les sons avec les sons. Je veux
dire à la fois dans un espace à trois dimensions et
dans le même moment dans notre environnement à quatre
dimensions. Nous ressentons son questionnement qui se traduit donc
dans cette succession de sons (ou dans ce son seul, c'est alors
une affaire de positionnement de l'auditeur), qui donne une idée
rare et concrète de la saturation du signal. Il semble avoir
enfin permis une approche totale de l'espace (le machin
qui permet au phénomène vibratoire de prendre son
élan puis son envol, puis de nous immerger), avec cette délicate
étude de la saturation sans écrêtement, ni (et
c'est là que son talent doit être souligné)
décret.
Rejoignant
donc les plus pertinents électroacousticiens farouchement
opposés aux limitations électroniques, Doneda peut
apparaître comme un générateur analogique passionnant
car non programmable. Cette affirmation frôlerait le ridicule,
si l'on oubliait qu'il s'agit en fait d'une des définitions
de l'être humain libre et autonome.
Et la musique parfois justifie le saxophone, même quand il
est droit.
Dominique
Répécaud
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liner
notes |
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Michel
Doneda (born 1954) made his recording debut at the rather advanced
age of 31. Not surprisingly, the Frenchmans soprano saxophone
sounds remarkably assured on Terra (Nato, 1985), though in
its multiphonic circumrotations we can still perceive the influence
of Evan Parkers legendary, one-man polyphony of split tones,
drones and overtones, seamlessly sustained by circular breathing.
However, by 1991 Donedas parkerisms had become noticeably
fewer, LElementaire Sonore (In Situ) announcing a solo
improvisor of great clarity, subtlety and timbral invention.
Eclipses,
a solo project recorded in 1992 (issued by Poil in 1994) inside
the resonant ambience of a former vermicelli factory, accompanied
by the hazy roar of nearby river Tarn, fully revealed the potency
of Donedas imagination, which had begun to surface on trio
recordings (on In Situ) with Lê Quan Ninh, Daunik Lazro and
Dominique Regef, where various traditional musics had provided the
touchstone for extraordinarily atmospheric improvisations. Donedas
soprano was now making connections with ancient non-western wind
instruments like the shenai, shakuhachi and sho, while also suggesting
european renaissance woodwinds like the shawm and crumhorn. Above
all Eclipses showcased his ability to evoke a mysterious,
primordial energy through a sensitive use of inventive extended
playing techniques. This strange and compelling confluence of the
ancient and modern has made Michel Doneda one of improvs most
original voices.
And
so to Anatomie des Clefs, arguably Donedas most intensive
investigation of the soprano to date. Here we can savour his mastery
of the art of solo improvisation. Derek Bailey speaks of a panic
of loneliness which can descend upon the anxious soloist.
Not so with Doneda; for these three lenghty improvisations are wonderfully
paced, characterised by an authoritative sense of purpose and direction.
Never merely a parade of unusual techniques, they flow with an organic
necessity. Notice in Creux actif how he deftly returns time
and again to the sound of tremulous air passing through the body
of the instrument a kind of serene, almost pastoral, reference
point against which the more agitated, bestial sounds are measured.
In contrast, Bloc dair skilfully maintains a mood of
querulous tension, offering us only the briefest moments of release
as its closing, strident sustained tones dip and die away. Like
its predecessors, Portées divisées specialises
in sounds of indefinite pitch, sounds of both scabrous intensity
and wispy fragility, asking us to be attentive to the subtlest details
of their textural gradations.
With
Anatomie des clefs Michel Doneda continues to extend the
sonic capabilities of the soprano saxophone and, in the process,
confirms his position as one of the most important and exciting
performers of improvised music.
Chris
Blackford |
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chroniques |
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La
force de Michel Doneda, c’est ses poumons, autrement dit son
souffle, son imagination, ainsi que sa manière personnelle
d’aborder son instrument.
Doneda est un acteur important de la scène des musiques improvisées
; il a déjà travaillé avec nombre de personnes
dont les questionnements musicaux sont similaires aux siens, c'est-à-dire
comment aborder la musique autrement que par les voies souvent enseignées,
en ayant une vision propre à chacun, la musique comme un
énorme champ d’exploration.
Musicien autodidacte, Michel Doneda a développé justement
au fil du temps et au fil des rencontres sa propre musique, sa propre
vision de l’instrument, sa propre technique instrumentale
lui offrant une grande 1iberté, ce qui lui permet aussi bien
de jouer avec des poètes, des danseurs qu'avec des musiciens
issus d’autres milieux que le sien.
Sur Anatomie des clefs c'est un Doneda en solo que l’on
découvre, avec trois improvisations qui oscillent entre le
souffle léger d'un vent de printemps et des rafales violentes
des steppes d’Asie Centrale. Doneda a la force de pousser
les sons dans leur retranchement ; il pense en termes de sons. c'est-à-dire
que là ou la plupart voient des notes, lui voit des images,
des sons qui s'entrechoquent, s’entremêlent et s'unifient.
Il peut penser parfois que son soprano doit lancer des couteaux
et le son se fait de plus en plus strident, dissonant, en montant
dans les aigus extrêmes ; ou bien encore veut-il donner l’impression
que du coton sort de son instrument, à ce moment le souffle
devient léger et le son devient caresse.
Trois improvisations donc, où la poésie des sons devient
de l'électro-acoustique ; la spatialité est un des
fondements de cette musique libre et sans contrainte où l’on
se ballade en fermant les yeux. Les clefs qui ouvrent le chemin
de l’esprit sont formées comme un homme, elles sont
l'homme.
Julien Ottavi
l Fœtus
l Juin
1999
Si le terme "radical" ou "extrême" est le plus souvent utilise
pour designer des musiques bruitistes, électroniques c'est
plus pour désigner une masse sonore, un volume général,
qu'une démarche, une attitude face à un dispositif
instrumental, face à la musique. La musique de Michel Doneda
(saxophone soprano) m'apparaît comme radicale et extrême
(c'est aussi le cas de certains autres improvisateurs). D'autant
plus qu'il s'agit ici d'improvisation totale, sans aucun montage,
enregistrement direct. Détail qui a son importance. Au-delà
de jouer avec tel ou tel zinzins électroniques, de créer
tel ou tel nouveaux types de sons, c'est peut-être là
que se trouve la démarche la plus extrême qui soit:
jouer son instrument, le faire sonner encore et encore sachant toute
l'histoire qui est déjà collée sur le saxophone
soprano, le réinventer, affirmer sa liberté, ne pas
se formater à un temps aseptisé. Anatomie des clefs,
un beau titre, tant il est vrai que Michel Doneda nous fait pénétrer
dans l'instrument, nous dévoile ses moindres recoins. Etonnant,
réellement étonnant que tout ce que l'on entend soit
uniquement issu d'un saxophone soprano. "Un générateur
analogique passionnant car non programmable" : la citation
de Dominique Répécaud, extraite des notes de pochette,
est des plus justes. Au-delà de la dimension libertaire du
personnage, elle met bien en avant le parallèle entre souffle
et électricité, entre clefs et potentiomètres,
entre tableau de connections et jeu des doigts sur les clefs. Radicale
car dans le tout-électronique d'aujourd'hui, Michel Doneda
nous donne une leçon d'écoute du monde acoustique,
encore et toujours à explorer.
PS
: la prise de son est de Jean Pallandre.
Jérôme
Noetinger
l Revue
& Corrigée
l Décembre
1998
Cette
musique, dont l'aridité est aussi un éveil permanent
se tient au risque de l'improvisation continuée en tentant
d'écarter toutes retrouvailles avec des champs déjà
constitués. Architecte des sons, farouchement opposé
au sens, c'est-à-dire à la phrase musicale avec ce
qu'elle comporte de fermeture, Doneda pose son acte à partir
de l’écoute -le solo absolu ne change rien pour lui
à cette exigence - de l’énergie et de la projection
du son dans l’espace. D'où ces titres superbes (Creux
actif, Bloc d'air, Portées divisées) que le producteur
du disque a su ramener à cette idée d'anatomie des
clefs. Rien de moins " climatique " que ce travail d’orfèvre
minutieux, rien de plus poétique en un sens, si l’on
admet que la fabrique du son passe avant celle du sens.
Philippe Méziat
l Jazz
Magazine
l Décembre
1998
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reviews |
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This
Frenchman has committed himself to higher frequency saxophones,
often doubling on sopranino. He has worked with an intriguingly
international cast, including British bassist Paul Rogers, but also
Japanese and Vietnamese players who don't have any jazz baggage.
The result is sonically demanding and on occasions almost violently
invasive, but in the final analysis beautiful and moving. These
are curious performances, filled with so much space it's often difficult
to tell whether a piece has ended or is simply in stasis. If that
doesn't sound virtuosic, Doneda has managed to coax every conceivable
improper sound out of his horn. and manages to make solo soprano
saxophone sound totally different from what might be described as
'the Evan Parker style' - if such a thing existed. If the title
Anatomy Of Keys suggests the album might be just a cycle of fifths
exercise, the reality is more complex and rewarding. The half-hour
opening track packs in most of the interesting music, certainly
enough to make this seem more than a footnote.
Brian Morton
l
The
Wire l
July 2005
"I
must succeed in endowing the parts of my body with relations of
speed and slowness that will make it become dog, in an original
assemblage proceeding neither by resemblance nor by analogy"
-- Deleuze and Guattari, A Thousand Plateaux, p.258.
It's not often that improvisors make solo discs that sound like
this any more; it feels like a manifesto, a vocabulary statement.
Yet Doneda is neither a particularly young player nor an inexperienced
one; he's been making music like this for nigh on fifteen years.
It's gritty, uncompromising stuff, sticking up a bad-tempered two
fingers at anyone who dares find it difficult.
His repertoire of techniques is similar to John Butcher's, but tris
sound is very different. Doneda likes to play in the extremes of
tris instrument just as Butcher does but, unlike the British player,
seems determined to go beyond the point of control. This means that
many of tris ideas seem only to half come off; very ambitious ideas
they may tee, but often he's left gasping into a horn which remains
stubbornly silent.
Part of this is the wilful ugliness of Doneda's music, its dental
of any kind of prettificatior to the point that only the nastiest
available sounds are employed. This is part of the point, because
those ugly sounds are sounds which come from Doneda's body -- his
breath or the sound of saliva trapped under the reed, or tris vocalisations
interfering with the vibration of the air column to the point that
a kind of semi-controlled noise is the only result.
There is a school of thought in improvised music that an unrehearsed,
naive approach to one's instrument is the only true way of improvising
with it. But this isn't Doneda's approach. These are very extreme
techniques -- often extremely quiet ones, working at the margine
of feasible sourd-production. The effect on this disc is one of
techniques pushed even further thar possible, resulting in the almost
complete breakdown of coherence. That, one suspects, is Doneda's
aim; to go beyond technique and become, like Braxton before him,
a kind of animal by technical perversion (in the best, Deleuzian
sense of that word, naturally). The title - anatomy of keys - indicates
Doneda's cybernetic project, a project of organicising tris horn,
or of turning tris own body into a reed instrument.
Yes, these are brave tactics, and yes the spirit of experimentation
is very much alive and well on these three long tracks. The problem
is that it sounds like the kind of experimentation which goes on
in the practice room, not the recording studio. Solo, he has the
necessary chutzpah not to cram everything into the first ten minutes,
which speaks volumes about the length of tris playing experience,
but the end result rather hectoring. Which is a shame, because Doneda
is obviously an interesting player and would probably be an exciting
live act.
Richard Cochrane
l Musings
l
April 1999
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