Anatomie des clefs
Michel Doneda

track listing
Creux actif (31:02) l Bloc d’air (16:18) l Portées divisées (26:38)

infos
Michel Doneda soprano saxophone

Recorded on winter 1998 by Jean Pallandre.

texte de pochette
liner notes
chroniques
reviews

texte de pochette  

Longtemps il me sembla que seul le poumon justifiait le saxophone et expliquait le saxophoniste. Me reviennent en mémoire les images et les sons de ces sculpteurs hargneux, car libres, que je découvris sur scène, encore adolescent, d'abord par hasard, car noyés dans ces programmations mixtes des manifestations des premières années 70, entre un chanteur pop, un gratteur folk et un groupe de rock. Immédiatement je fus frappé par la dimension sportive et, simultanément, la charge poétique (je pense par exemple à Griffin), et finalement à cette présence forcément désespérée, tentative ultime (on en est toujours là, fort heureusement) de donner à entendre un langage issu d'un très haut niveau de culture et de pensée avec le simple outil composé du souffle et de certaines articulations (je me permets ici cette simpliste plaisanterie qui consiste à associer rapidement ce fameux langage articulé et la mécanique subtile des ces tuyaux brillants).
J'ai vieilli ensuite, devenant perplexe devant cette incompréhension persistante entre deux petites familles mesquines incapables de s'écouter, celles des guitares électriques et celles des saxophones, avant de décider que les problèmes intellectuels (?) des uns n'étaient plus les miens.
Puis vinrent à mes oreilles le travail de Daunik Lazro, celui d'Evan Parker et il y a une quinzaine d'années celui de Michel Doneda. Et je repris plaisir à écouter les tuyaux magiques, prenant le temps cette fois-ci de rencontrer les personnes, plutôt que leurs images scéniques.
Mon inculture grandissante me permettant d'éviter le plus souvent le jeu des références et comparaisons, je m'autorise, avec ce que je définis souvent comme une plongée en improvisation, des plaisirs prolongés au-delà de tout comportement lié à la consommation. Ainsi, selon l'état psychique ou physique, un enregistrement tel que celui que l'on peut écouter ici permet enfin d'envisager la musique ambiante de manière noble (sachant que là je touche à des valeurs douteuses, mais une fois de plus quittons la culture pour le son, y compris celui des mots) ou d'approcher réellement la vibration de l'air dans sa propriété psychédélique.
Doneda peut indéfiniment pousser les sons avec les sons. Je veux dire à la fois dans un espace à trois dimensions et dans le même moment dans notre environnement à quatre dimensions. Nous ressentons son questionnement qui se traduit donc dans cette succession de sons (ou dans ce son seul, c'est alors une affaire de positionnement de l'auditeur), qui donne une idée rare et concrète de la saturation du signal. Il semble avoir enfin permis une approche totale de l'espace (le “machin” qui permet au phénomène vibratoire de prendre son élan puis son envol, puis de nous immerger), avec cette délicate étude de la saturation sans écrêtement, ni (et c'est là que son talent doit être souligné) décret.
Rejoignant donc les plus pertinents électroacousticiens farouchement opposés aux limitations électroniques, Doneda peut apparaître comme un générateur analogique passionnant car non programmable. Cette affirmation frôlerait le ridicule, si l'on oubliait qu'il s'agit en fait d'une des définitions de l'être humain libre et autonome.
Et la musique parfois justifie le saxophone, même quand il est droit.

Dominique Répécaud


liner notes

Michel Doneda (born 1954) made his recording debut at the rather advanced age of 31. Not surprisingly, the Frenchman’s soprano saxophone sounds remarkably assured on Terra (Nato, 1985), though in its multiphonic circumrotations we can still perceive the influence of Evan Parker’s legendary, one-man polyphony of split tones, drones and overtones, seamlessly sustained by circular breathing. However, by 1991 Doneda’s parkerisms had become noticeably fewer, L’Elementaire Sonore (In Situ) announcing a solo improvisor of great clarity, subtlety and timbral invention.
Eclipses, a solo project recorded in 1992 (issued by Poil in 1994) inside the resonant ambience of a former vermicelli factory, accompanied by the hazy roar of nearby river Tarn, fully revealed the potency of Doneda’s imagination, which had begun to surface on trio recordings (on In Situ) with Lê Quan Ninh, Daunik Lazro and Dominique Regef, where various traditional musics had provided the touchstone for extraordinarily atmospheric improvisations. Doneda’s soprano was now making connections with ancient non-western wind instruments like the shenai, shakuhachi and sho, while also suggesting european renaissance woodwinds like the shawm and crumhorn. Above all Eclipses showcased his ability to evoke a mysterious, primordial energy through a sensitive use of inventive extended playing techniques. This strange and compelling confluence of the ancient and modern has made Michel Doneda one of improv’s most original voices.
And so to Anatomie des Clefs, arguably Doneda’s most intensive investigation of the soprano to date. Here we can savour his mastery of the art of solo improvisation. Derek Bailey speaks of a “panic of loneliness” which can descend upon the anxious soloist. Not so with Doneda; for these three lenghty improvisations are wonderfully paced, characterised by an authoritative sense of purpose and direction. Never merely a parade of unusual techniques, they flow with an organic necessity. Notice in Creux actif how he deftly returns time and again to the sound of tremulous air passing through the body of the instrument – a kind of serene, almost pastoral, reference point against which the more agitated, bestial sounds are measured. In contrast, Bloc d’air skilfully maintains a mood of querulous tension, offering us only the briefest moments of release as its closing, strident sustained tones dip and die away. Like its predecessors, Portées divisées specialises in sounds of indefinite pitch, sounds of both scabrous intensity and wispy fragility, asking us to be attentive to the subtlest details of their textural gradations.
With Anatomie des clefs Michel Doneda continues to extend the sonic capabilities of the soprano saxophone and, in the process, confirms his position as one of the most important and exciting performers of improvised music.

Chris Blackford


chroniques

La force de Michel Doneda, c’est ses poumons, autrement dit son souffle, son imagination, ainsi que sa manière personnelle d’aborder son instrument.
Doneda est un acteur important de la scène des musiques improvisées ; il a déjà travaillé avec nombre de personnes dont les questionnements musicaux sont similaires aux siens, c'est-à-dire comment aborder la musique autrement que par les voies souvent enseignées, en ayant une vision propre à chacun, la musique comme un énorme champ d’exploration.
Musicien autodidacte, Michel Doneda a développé justement au fil du temps et au fil des rencontres sa propre musique, sa propre vision de l’instrument, sa propre technique instrumentale lui offrant une grande 1iberté, ce qui lui permet aussi bien de jouer avec des poètes, des danseurs qu'avec des musiciens issus d’autres milieux que le sien.
Sur Anatomie des clefs c'est un Doneda en solo que l’on découvre, avec trois improvisations qui oscillent entre le souffle léger d'un vent de printemps et des rafales violentes des steppes d’Asie Centrale. Doneda a la force de pousser les sons dans leur retranchement ; il pense en termes de sons. c'est-à-dire que là ou la plupart voient des notes, lui voit des images, des sons qui s'entrechoquent, s’entremêlent et s'unifient. Il peut penser parfois que son soprano doit lancer des couteaux et le son se fait de plus en plus strident, dissonant, en montant dans les aigus extrêmes ; ou bien encore veut-il donner l’impression que du coton sort de son instrument, à ce moment le souffle devient léger et le son devient caresse.
Trois improvisations donc, où la poésie des sons devient de l'électro-acoustique ; la spatialité est un des fondements de cette musique libre et sans contrainte où l’on se ballade en fermant les yeux. Les clefs qui ouvrent le chemin de l’esprit sont formées comme un homme, elles sont l'homme.
Julien Ottavi l Fœtus l Juin 1999


Si le terme "radical" ou "extrême" est le plus souvent utilise pour designer des musiques bruitistes, électroniques c'est plus pour désigner une masse sonore, un volume général, qu'une démarche, une attitude face à un dispositif instrumental, face à la musique. La musique de Michel Doneda (saxophone soprano) m'apparaît comme radicale et extrême (c'est aussi le cas de certains autres improvisateurs). D'autant plus qu'il s'agit ici d'improvisation totale, sans aucun montage, enregistrement direct. Détail qui a son importance. Au-delà de jouer avec tel ou tel zinzins électroniques, de créer tel ou tel nouveaux types de sons, c'est peut-être là que se trouve la démarche la plus extrême qui soit: jouer son instrument, le faire sonner encore et encore sachant toute l'histoire qui est déjà collée sur le saxophone soprano, le réinventer, affirmer sa liberté, ne pas se formater à un temps aseptisé. Anatomie des clefs, un beau titre, tant il est vrai que Michel Doneda nous fait pénétrer dans l'instrument, nous dévoile ses moindres recoins. Etonnant, réellement étonnant que tout ce que l'on entend soit uniquement issu d'un saxophone soprano. "Un générateur analogique passionnant car non programmable" : la citation de Dominique Répécaud, extraite des notes de pochette, est des plus justes. Au-delà de la dimension libertaire du personnage, elle met bien en avant le parallèle entre souffle et électricité, entre clefs et potentiomètres, entre tableau de connections et jeu des doigts sur les clefs. Radicale car dans le tout-électronique d'aujourd'hui, Michel Doneda nous donne une leçon d'écoute du monde acoustique, encore et toujours à explorer.
PS : la prise de son est de Jean Pallandre.
Jérôme Noetinger l Revue & Corrigée l Décembre 1998


Cette musique, dont l'aridité est aussi un éveil permanent se tient au risque de l'improvisation continuée en tentant d'écarter toutes retrouvailles avec des champs déjà constitués. Architecte des sons, farouchement opposé au sens, c'est-à-dire à la phrase musicale avec ce qu'elle comporte de fermeture, Doneda pose son acte à partir de l’écoute -le solo absolu ne change rien pour lui à cette exigence - de l’énergie et de la projection du son dans l’espace. D'où ces titres superbes (Creux actif, Bloc d'air, Portées divisées) que le producteur du disque a su ramener à cette idée d'anatomie des clefs. Rien de moins " climatique " que ce travail d’orfèvre minutieux, rien de plus poétique en un sens, si l’on admet que la fabrique du son passe avant celle du sens.
Philippe Méziat l Jazz Magazine l Décembre 1998


reviews

This Frenchman has committed himself to higher frequency saxophones, often doubling on sopranino. He has worked with an intriguingly international cast, including British bassist Paul Rogers, but also Japanese and Vietnamese players who don't have any jazz baggage. The result is sonically demanding and on occasions almost violently invasive, but in the final analysis beautiful and moving. These are curious performances, filled with so much space it's often difficult to tell whether a piece has ended or is simply in stasis. If that doesn't sound virtuosic, Doneda has managed to coax every conceivable improper sound out of his horn. and manages to make solo soprano saxophone sound totally different from what might be described as 'the Evan Parker style' - if such a thing existed. If the title Anatomy Of Keys suggests the album might be just a cycle of fifths exercise, the reality is more complex and rewarding. The half-hour opening track packs in most of the interesting music, certainly enough to make this seem more than a footnote.
Brian Morton l
The Wire l July 2005

"I must succeed in endowing the parts of my body with relations of speed and slowness that will make it become dog, in an original assemblage proceeding neither by resemblance nor by analogy" -- Deleuze and Guattari, A Thousand Plateaux, p.258.

It's not often that improvisors make solo discs that sound like this any more; it feels like a manifesto, a vocabulary statement. Yet Doneda is neither a particularly young player nor an inexperienced one; he's been making music like this for nigh on fifteen years. It's gritty, uncompromising stuff, sticking up a bad-tempered two fingers at anyone who dares find it difficult.
His repertoire of techniques is similar to John Butcher's, but tris sound is very different. Doneda likes to play in the extremes of tris instrument just as Butcher does but, unlike the British player, seems determined to go beyond the point of control. This means that many of tris ideas seem only to half come off; very ambitious ideas they may tee, but often he's left gasping into a horn which remains stubbornly silent.
Part of this is the wilful ugliness of Doneda's music, its dental of any kind of prettificatior to the point that only the nastiest available sounds are employed. This is part of the point, because those ugly sounds are sounds which come from Doneda's body -- his breath or the sound of saliva trapped under the reed, or tris vocalisations interfering with the vibration of the air column to the point that a kind of semi-controlled noise is the only result.
There is a school of thought in improvised music that an unrehearsed, naive approach to one's instrument is the only true way of improvising with it. But this isn't Doneda's approach. These are very extreme techniques -- often extremely quiet ones, working at the margine of feasible sourd-production. The effect on this disc is one of techniques pushed even further thar possible, resulting in the almost complete breakdown of coherence. That, one suspects, is Doneda's aim; to go beyond technique and become, like Braxton before him, a kind of animal by technical perversion (in the best, Deleuzian sense of that word, naturally). The title - anatomy of keys - indicates Doneda's cybernetic project, a project of organicising tris horn, or of turning tris own body into a reed instrument.
Yes, these are brave tactics, and yes the spirit of experimentation is very much alive and well on these three long tracks. The problem is that it sounds like the kind of experimentation which goes on in the practice room, not the recording studio. Solo, he has the necessary chutzpah not to cram everything into the first ten minutes, which speaks volumes about the length of tris playing experience, but the end result rather hectoring. Which is a shame, because Doneda is obviously an interesting player and would probably be an exciting live act.
Richard Cochrane
l Musings l
April 1999