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Bien
sûr, il y a cette fameuse et inévitable boutade,
insidieuse et persistante (recueillie dans Jazz Magazine, mars
1974), où il est question dinfluences, du carillon
dAnvers et dun Monsieur C. T. de New York. Car, pour
les jeunes improvisateurs en Europe à partir des années
60, il sagissait de sémanciper du grand frère
américain et du jazz historique fût-il free
(souvent avec véhémence : le kaputtspiel)
pour affirmer sa propre identité, puiser dans ses traditions.
On parlait alors dune musique européenne
(le mot navait pas encore ce goût de Maastricht).
A cet égard, Fred Van Hove ne cessera de pimenter ses enregistrements
ultérieurs de titres et de rythmes évoquant les
musiques populaires de son adolescence en Belgique : Guustjes
Rock, Tango Réveil, Petit Blues Fourré, Prosper
Wals, Ballade voor Honger en Onrecht... Aujourdhui,
avec le recul et la sagesse (appelons ça de cette manière),
on saperçoit que cette prétendue dichotomie
entre les pratiques musicales des deux côtés de lAtlantique
nétait quapparente, que cette idée dune
identité européenne séparée participait
davantage de la politique que de la réalité culturelle.
Quau fond la musique, par exemple, des premiers Spontaneous
Music Ensemble à Londres avait plus dun point commun
sans le savoir à lépoque avec
celle de lAACM à Chicago, que Peter Brötzmann
et Albert Ayler développaient au même moment une
proche similarité de styles et de timbres... Et Van Hove,
au fil des années, ne cessera de fréquenter sans
discrimination improvisateurs européens et américains
tels que Steve Lacy, Anthony Braxton, Ned Rothenberg, Douglas
Ewart, George Lewis, Joe McPhee, Frank Ratkowsky, Butch Morris,
Edward Kidd Jordan, etc.
Ses premiers solos de piano remontent au tout début des
années 70 alors quil est surtout connu pour
sa participation à un trio éminent (avec Brötzmann
et Han Bennink). Il fournira bientôt des accompagnements
en solo à des films muets, mais finira par se méfier
de ce splendide isolement : Il y a un danger dans le
solo, on sy habitue. Quand on joue trop de solos, il ny
a plus despace acoustique lorsque lon joue avec les
autres jai alors du mal à mentendre
avec les autres. Or, cette musique dimprovisation libre
se développe quand même et surtout en interaction
avec les autres musiciens. Il multipliera ainsi les
duos, les groupes à personnel fixe (MLA Blek, MLDD 4, MLBB,
MLB III, t Trio, t Nonet, le Belgisch Pianokwartet...)
et, par-dessus tout, favorisera les rencontres et coopérations
tous azimuts avec les improvisateurs du monde entier. Pourtant,
promu ambassadeur culturel de la Flandre en 1996-97 et subventionné
pour se produire à létranger, cest principalement
en solo (au piano, à lorgue déglise,
voire au carillon) que Fred Van Hove entreprendra de nombreuses
tournées, en Europe et en Amérique du Nord. Les
deux concerts aux Instants Chavirés à Montreuil
participaient de cette opération de promotion de la culture
flamande : le pianiste sy produisit en trio avec Urs Leimgruber
et Alexander Frangenheim le premier soir, et en duo avec Joëlle
Léandre le lendemain.
Les deux solos enregistrés en ouverture de chaque soirée
et présentés ici dans leur rayonnante intégralité
témoignent dune nette diversité dinspiration
et de mise en forme instantanée. Dans les deux cas, une
solide technique classique du piano est sollicitée, explorant
à flux continu et en violentes rafales les registres les
plus extrêmes de linstrument et négociant sa
démesure par un sens aigu de la structure. Fred Van Hove
se lance dans limprovisation comme on se jette à
la mer, en apnée, prenant plaisir à se faire peur
en frôlant les abîmes. Une flamboyante frénésie
de clusters déchaînés et piqués escarpés
à mi-clavier, ponctués de grondements menaçants
dans les graves et sillonnés de grappes déclairs
acides (en forme de coups de fouet) vers laigu. Et si, malgré
tout en dépit des deux univers bien différents
sur le plan poétique lon ne peut sempêcher
de penser ici à Cecil Taylor, cest à cause
de lengagement physique et de lintensité dramatique.
Le temps est à lorage.
Gérard
Rouy
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liner
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An
image : Midday, walking down the street at the next corner I see
a very tough looking kid, 16- or 17-year-old gang-banger furiously
punching out into emptiness. C'mon, I'll kill you, I'll
kick the shit out of you! he calls viciously at nobody.
Cautiously approaching, too curious to stop, mid-block the logical
blank is filled in as I spy a large wasp, angry as hell, circling
him and dive-bombing his close-shaven head. C'mon, bitch!
the kid spits, but his punches don't land anywhere, the roundabout
wallops only pull his body wildly about and make him dance crazily.
Meanwhile, effortless, borne on the wind of the gang-kid's errant
blows, the black-and-yellow insect toys with him mercilessly like
a taunting big brother who jabs and snipes without actually punching.
Just to prove who's boss.
Solo improvising can, at times, seem like shadow-boxing. Alone on
stage, the player has no partner to spar with, no interactive intellect
to strategize against, no bulk of body or instrument with whom to
exchange energies. The lonely improvisor lashes out into thin air,
flailing, a gang-kid landing no punches. Solo improvisors risk the
ridiculousness of picking a fight with no one. But then there are
those free players who take on multiple roles themselves, who summon
phenomenal powers to become both pugilists at once, filling the
ring, or even Belgian pianist Fred Van Hove has no problem embodying
several fighters. He is, simply put, one of the most accomplished
and daunting figures in improvising, and his solo music has been
in a class by itself since the 60s. Emotionally exhausting
and creatively exilerating, these two set-length solos recorded
over two nights at Les Instants Chavirés outside Paris
are masterpieces of instantaneous execution. Staggering beauty,
with unerring control of momentum, dynamics and details and a long-haul
sense of structural architecture rarely heard in free play. One
man, both boxers, duking it out in the most exciting match you can
imagine.
Or, better, Van Hove as the wasp. A being who soars above bare-knuckles
games. The grinning hornet that dances in air, whose sting you surely
wont forget.
John
Corbett
l Chicago, July 1998
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chroniques |
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L’homme
est fait d'énergie, de forces qui se rencontrent, de sangs,
de chairs, de flux incessants de matières, matières
d'airs, matières sanguines...
L’homme est aussi fait de pensée, d’idée
et d’inconnus. Quand on entend pour la première fois
la musique de ce personnage, on reste sidéré, pétrifié
sur place, le corps tout entier s’immobilise, tous vos sens
sont bloqués dans une impasse, seul l’ouïe reste
en fonction, tirée, focalisée sur un incessant flux
de sons, où le temps du silence est banni à tout jamais,
reclu parmi les partitions d'un passé ô combien trop
lourd à porter pour tous les jeunes musiciens. Fred Van Hove,
lui, continue sa quête, jouant de son piano comme s’il
par1ait, criait, chantait, soufflait, s'énervait chuchotait,
un piano que Fred Van Hove foudroie, pulvérise, écrase,
pousse dans ses retranchements, un piano non préparé
qui se libère de ses contraintes mélodiques, un piano
de l'improvisation.
Depuis longtemps au cœur de cette improvisation, Fred Van Hove
ne cesse de côtoyer de nombreux improvisateurs tels que Steve
Lacy, Anthony Braxton, Joëlle Léandre, Ned Rothenberg,
Douglas Ewart, George Lewis, Butch Morris, Peter Brötzmann
et d'autres, sa vie (musicale) est donc vouée à l'improvisation
comme maître à penser, comme source d'inspiration interne,
propre à son cœur, à son ventre, à sa
tête. L’improvisation comme moyen de parvenir vers ce
mystère que l’on touche sans arrêt du bout des
doigts mais qui à chaque fois se perd dans le brouillard
de nos propres pensées, de nos propres vies. Flux
est comme son nom l’indique un flot, un mouvement continu
de musique, ici ce sont les sons et les notes du piano que l'on
entend en flux continu, comme une coulée de lave, un torrent
de folie, une tempête de notes distordues, une longue traversée
d'un monde inconscient terrifiant et attirant, où l'on passe
d'un free jazz complètement alambiqué à de
la musique sérielle vraiment endiablée avec un goût
d'expérimentation corsée. Deux improvisations, deux
enregistrements, deux mains, un seul homme, une seule musique, celle
de Fred Van Hove qui entre une Dérive et un Ruwe
Ruimte vous obligera à l’écouter dire ce
qu’il pense de ce monde dans lequel il vit.
Julien Ottavi
l Fœtus
l Juin
1999
Tout se joue hors du temps, exactement comme lorsqu'on fixe la surface
d'un torrent : par delà l'uniformité trompeuse du
spectacle, on commence par sétonner devant l'intensité
des flux : ça narrête pas de couler. Devant la
violence des débits : ça éclabousse, ça
bouillonne, ça jaillit... Pour embrayer sur cette métaphore
aquatique, ajoutons que loreille (l'il) est toute entière
accaparé par ces masses liquides, impalpables, qui se forment
et se déforment a chaque instant et, face aux hypnotiques
mouvements ondulatoires de ces îlots, s'émerveille.
En
fait, on n'écoute pas ces deux solos de piano lil
ouvert : face à l'ivresse des flux, il ne nous reste qu'a
plonger au dedans pour mieux se laisser ballotter, divaguer, dériver:
détours abruptes, lignes de fuite en forme de méandres
ou de cascades, bousculades vers l'absurde, tâtonnements vers
l'intime...
Tout
se joue dans l'émotion, forcément. Palpitations intenses,
martelées ou murmurées ébullition des sons...
Il émane de ce personnage discret, d'apparence presque timide,
une énergie sans concession, énergie qui nous est
transmise, vivifiante, qui régénère un bel
exemple de potlatch. On en sort saoulé, groggy, on se surprend
à constater un instant la pâleur du vide lorsque la
musique s'arrête.
Un
disque tout jeune,
et déjà un monument : déjà nécessaire.
Marc
Sarrazy
l ImproJazz
l Janvier
1999
Le passage
à la trappe du free jazz a au moins une conséquence
positive: un écrémage radical. Et il y a beaucoup d'atouts
à mettre au crédit des musiciens qui se livrent encore
à ce lyrisme courageux: ils naviguent contre l'air du temps,
et ils ont le plus souvent accumulé travail, pratique et réflexion.
Fred Van Hove est de ceux-là, et ce concert de piano solo,
enregistré aux Instants Chavirés, étonne de beauté,
de maîtrise et d'imagination. Sous le sceau de la contradiction,
cette musique se place sous le parrainage d'éléments
naturels: l'eau (le titre Flux) et le feu (la photo de couverture).
De fait, cet art est torrentiel, et d'un torrent, qui ne s'économise
pas. Il vous déborde, vous inonde, vous suffoque parfois quelques
instants sous son abondance et son impétuosité. Mais
ce goût de l'excès n'est jamais brouillon. Fred Van Hove
sait se laisser emporter, ouvrir ses vannes, ralentir, et régler
son débit. Pas de hoquets: l'injection est parfaite. Le rapport
à l'instrument est original, mais sans détournement:
c'est bien d'un piano classique qu'il s'agit. Pas de logique harmonique,
mais pas de cluster non plus. Une ligne essentiellement monodique,
avec ses trouvailles, ses accents, ses détours, que l'on suit
avec passion et halètement tout au long de ces 95 minutes.
Est-ce trop? Est- ce difficile? Pas du tout! La musique vous porte,
vous nettoie les oreilles et l'esprit. On en sort un peu nettoyé
de la grisaille ambiante.
Yvan Amar
l Jazzman
l Décembre
1998
Pianiste, accordéoniste, organiste (d'église), joueur
de carillon, chef d'orchestre, improvisateur, compositeur, Fred
Van Hove, né à Anvers en 1937, est 1'un des musiciens
"historiques" de la free music en Europe. Depuis le milieu
des années 60, il affirme son appartenance à sa terre,
à ses racines européennes, et son immense besoin de
liberté formelle. Ses performances (le terme nest pas
usurpé tant sa relation physique au clavier laisse entendre
d'énergie, de don de soi) seul au piano sont des modèles
d'inventions instantanées.
Deux
pièces d'un jet, deux disques, un peu plus d'une heure et
demie de jeu sans influences, en flux et reflux, dénuées
de la violence et de l'exacerbation du "je" qui sont trop
souvent les seules références attachées au
free jazz. Van Hove parcourt l'ensemble du clavier en un mouvement
incessant, d'une grande lisibilité, en lignes parfois brisées
par des traits virtuoses qui n'oublient jamais l'essence de la musique,
son pouvoir d'évocation et de communication.
Sylvain
Siclier
l Le
Monde
l 28
novembre 1998
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reviews |
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Belgium's
Fred Van Hove proves why he is one of the great sonic architects
of piano improvisation on this excellenl solo project. His virtuosity
is most evident in the dazzling élan of Ruwe Ruimte.
Even more impressive is the massive sound that he generates so
brillantly in the mesmerizing repetition of descending circular
motifs in Dérive hammering the keys with a densely
percussive technique that etches each note with solid gravity.
Certainly this is Van Hove's brooding, signature sound explored
in his furiously pounded crescendos in Ruwe Ruimte. Van
Hove also shows himselt to be a vibranl impressionist, stripped
of sentiment in those inlertudes of shimmering lyricism in Dérive
and Ruwe Ruimte. The sustained brilliance of his prepared
piano near the conclusion of Dérive shows a refined
mastery and elegance that makes many other practitioners sound
crude in comparison.
This is uncompromising, wonderful music. Highly recommended to
all adventurous souls.
David Lewis
l Cadence
l April
1999
The two CDs of Flux, the first called Dérive,
the second Ruwe Ruimte, are exquisitely sustained performances
of radically different character. Dérive is a
continuous evolution of different approaches to the piano, lyric
and tumultuous, interior and exterior. The shorter Ruwe Ruimte
is more compressed, its shape less a suite than a grand sonata,
its first twenty minutes a kinetic onslaught on the keyboard that
combines blistering overlapping runs.
What emerges from the two CDs of Flux is the sense of
a complete music, of a musician who has pressed the art of piano
improvisation to include at least two histories, each complete
in itself. One is an inventory of what has unfolded in time, some
of what you might find in an official history of the instrument.
It comes through in Van Hove's mastery of a variety of styles
and his astuteness to traditional piano mechanics. He possesses
the sweep and harmonic fluency of late Romantic piano music, along
with a subtle sense of touch and a highly developed pedal technique.
The other history is one of "real time," the possible
charting of a mind and world in flux - a profound encounter with
the moment, for player and listener alike, in which the music
is an infinitely detailed account of synapses and air, processes
neurological and perhaps even meteorological. Hence the profound
distinctiveness of these two performances. ln this sense, the
Van Hove performance, witnessed "Iive" or as heard on
the recordings from Les Instants Chavirés, does not brook
segmentation - it is literally a whole. Van Hove is a master of
articulation – not only of the rapid fire attack, but of
the gentler shades of the piano - a master of life's richest moments,
when the sweet and the thunderous collide.
Stuart Broomer
l Coda
l March
1999
Perhaps best known as the pianist on Peter Brötzmann's seminal
Machine Gun, Belgian Fred Van Hove has been playing improvised
music for the greater portion of four decades. To know him solely
from his Brötzmann associations is to only get a fraction
of the picture. The past few years alone have found him leading
his own nine-piece group, touring in a trio with Luc Houtkamp
and Gert-Jan Prins, recording on a church organ in duo with the
trombonist Bauer brothers, and most recently recording this live
piano session.
Recorded in France, Flux finds Van Hove fusing all of
his devices over two tumultuous and often exhausting pieces. While
he is a player capable of great sensitivily, the impression that
remains after the last notes float out of the speakers, is that
of a pianist projecting a narrative of thorny, white-knuckled
dissonance. These two pieces are a voyage through constantly shifting
terrain, oflen exploring the darker sonorities of the instrument
in cacophonous waves that swirl and swell in abrupt orchestration.
The cliché would be to suggest that Flux is not for the
faint of heart, but then again, what exhilarating music is?
Jon Morgan
l Signal
To Noise
l March
1999
This remarkable Belgian pianist has produced two new releases
issued on separate labels: Passing Waves (see AAJ review
Jan. 1998) on Nuscope records and this 2 CD live set
titled Flux on Potlatch records.
On Disk 1, Van Hove performs a piece called Dérive which
clocks in at 52 minutes. Once again Van Hove performs solo piano
and the results are mind-boggling as one would expect. Van Hove
utilizes huge muscular block chords to develop extremely complex
phrasing while evolving into dialogues with left and right hand
as if there were two pianists performing concurrently.
Here, Van Hoves methodical approach is exquisite
and consuming. Ideas are executed in what seems like milliseconds
and his ability to implement at such a rapid pace without losing
momentum is breath taking. Vivid imagery prevails while Van Hove
keeps the listener on edge with a sparkling sense of drama combined
with lightning fast movement and endless execution of fresh ideas.
On Disk 2 his lengthy piece titled Ruwe Ruimte follows
suit with blazing hand speed and massive crescendos emphasized
by his fist periodically slamming the piano for rhythmic accent.
Van Hove is not without a sense of humor and wit. His phrasing
at times appears to be frisky and jovial. Ruwe Ruimte takes
on a percussive feel while Van Hove pursues several diverse avenues
in almost simultaneous fashion.
Throughout
this recording Van Hoves imagination appears to be in turbo
mode as if he were possessed by spirits or in a deep trance. Fred
Van Hove is a modern day master of free-improvised music. Flux
is yet another Van Hove masterpiece that should be deemed required
listening for advocates of modern music and students of the piano.
Highly Recommended.
Glenn
Astarita l
allaboutjazz.com
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