Flux
Fred Van Hove

track listing (double CD)
Disc one : Dérive (52:51)
Disc two : Ruwe Ruimte (42:52)

infos
Fred Van Hove piano

Recorded live by Jean-Marc Foussat on January 15th and 16th 1998
at Les Instants Chavirés Montreuil.

texte de pochette
liner notes
chroniques
reviews

texte de pochette  

Bien sûr, il y a cette fameuse et inévitable boutade, insidieuse et persistante (recueillie dans Jazz Magazine, mars 1974), où il est question d’influences, du carillon d’Anvers et d’un Monsieur C. T. de New York. Car, pour les jeunes improvisateurs en Europe à partir des années 60, il s’agissait de s’émanciper du grand frère américain et du jazz historique — fût-il free — (souvent avec véhémence : le kaputtspiel) pour affirmer sa propre identité, puiser dans ses traditions. On parlait alors d’une “ musique européenne ” (le mot n’avait pas encore ce goût de Maastricht). A cet égard, Fred Van Hove ne cessera de pimenter ses enregistrements ultérieurs de titres et de rythmes évoquant les musiques populaires de son adolescence en Belgique : Guustjes Rock, Tango Réveil, Petit Blues Fourré, Prosper Wals, Ballade voor Honger en Onrecht... Aujourd’hui, avec le recul et la sagesse (appelons ça de cette manière), on s’aperçoit que cette prétendue dichotomie entre les pratiques musicales des deux côtés de l’Atlantique n’était qu’apparente, que cette idée d’une identité européenne séparée participait davantage de la politique que de la réalité culturelle. Qu’au fond la musique, par exemple, des premiers Spontaneous Music Ensemble à Londres avait plus d’un point commun — sans le savoir à l’époque — avec celle de l’AACM à Chicago, que Peter Brötzmann et Albert Ayler développaient au même moment une proche similarité de styles et de timbres... Et Van Hove, au fil des années, ne cessera de fréquenter sans discrimination improvisateurs européens et américains — tels que Steve Lacy, Anthony Braxton, Ned Rothenberg, Douglas Ewart, George Lewis, Joe McPhee, Frank Ratkowsky, Butch Morris, Edward Kidd Jordan, etc.
Ses premiers solos de piano remontent au tout début des années 70 — alors qu’il est surtout connu pour sa participation à un trio éminent (avec Brötzmann et Han Bennink). Il fournira bientôt des accompagnements en solo à des films muets, mais finira par se méfier de ce splendide isolement : “Il y a un danger dans le solo, on s’y habitue. Quand on joue trop de solos, il n’y a plus d’espace acoustique lorsque l’on joue avec les autres — j’ai alors du mal à m’entendre avec les autres. Or, cette musique d’improvisation libre se développe quand même et surtout en interaction avec les autres musiciens.” Il multipliera ainsi les duos, les groupes à personnel fixe (MLA Blek, MLDD 4, MLBB, MLB III, ‘t Trio, ‘t Nonet, le Belgisch Pianokwartet...) et, par-dessus tout, favorisera les rencontres et coopérations tous azimuts avec les improvisateurs du monde entier. Pourtant, promu ambassadeur culturel de la Flandre en 1996-97 et subventionné pour se produire à l’étranger, c’est principalement en solo (au piano, à l’orgue d’église, voire au carillon) que Fred Van Hove entreprendra de nombreuses tournées, en Europe et en Amérique du Nord. Les deux concerts aux Instants Chavirés à Montreuil participaient de cette opération de promotion de la culture flamande : le pianiste s’y produisit en trio avec Urs Leimgruber et Alexander Frangenheim le premier soir, et en duo avec Joëlle Léandre le lendemain.
Les deux solos enregistrés en ouverture de chaque soirée et présentés ici dans leur rayonnante intégralité témoignent d’une nette diversité d’inspiration et de mise en forme instantanée. Dans les deux cas, une solide technique classique du piano est sollicitée, explorant à flux continu et en violentes rafales les registres les plus extrêmes de l’instrument et négociant sa démesure par un sens aigu de la structure. Fred Van Hove se lance dans l’improvisation comme on se jette à la mer, en apnée, prenant plaisir à se faire peur en frôlant les abîmes. Une flamboyante frénésie de clusters déchaînés et piqués escarpés à mi-clavier, ponctués de grondements menaçants dans les graves et sillonnés de grappes d’éclairs acides (en forme de coups de fouet) vers l’aigu. Et si, malgré tout — en dépit des deux univers bien différents sur le plan poétique — l’on ne peut s’empêcher de penser ici à Cecil Taylor, c’est à cause de l’engagement physique et de l’intensité dramatique. Le temps est à l’orage.

Gérard Rouy


liner notes

An image : Midday, walking down the street at the next corner I see a very tough looking kid, 16- or 17-year-old gang-banger furiously punching out into emptiness. “C'mon, I'll kill you, I'll kick the shit out of you!” he calls viciously at nobody. Cautiously approaching, too curious to stop, mid-block the logical blank is filled in as I spy a large wasp, angry as hell, circling him and dive-bombing his close-shaven head. “C'mon, bitch!” the kid spits, but his punches don't land anywhere, the roundabout wallops only pull his body wildly about and make him dance crazily. Meanwhile, effortless, borne on the wind of the gang-kid's errant blows, the black-and-yellow insect toys with him mercilessly like a taunting big brother who jabs and snipes without actually punching. Just to prove who's boss.
Solo improvising can, at times, seem like shadow-boxing. Alone on stage, the player has no partner to spar with, no interactive intellect to strategize against, no bulk of body or instrument with whom to exchange energies. The lonely improvisor lashes out into thin air, flailing, a gang-kid landing no punches. Solo improvisors risk the ridiculousness of picking a fight with no one. But then there are those free players who take on multiple roles themselves, who summon phenomenal powers to become both pugilists at once, filling the ring, or even Belgian pianist Fred Van Hove has no problem embodying several fighters. He is, simply put, one of the most accomplished and daunting figures in improvising, and his solo music has been in a class by itself since the ’60s. Emotionally exhausting and creatively exilerating, these two set-length solos recorded over two nights at Les Instants Chavirés outside Paris are masterpieces of instantaneous execution. Staggering beauty, with unerring control of momentum, dynamics and details and a long-haul sense of structural architecture rarely heard in free play. One man, both boxers, duking it out in the most exciting match you can imagine.
Or, better, Van Hove as the wasp. A being who soars above bare-knuckles games. The grinning hornet that dances in air, whose sting you surely won’t forget.

John Corbett l Chicago, July 1998


chroniques

L’homme est fait d'énergie, de forces qui se rencontrent, de sangs, de chairs, de flux incessants de matières, matières d'airs, matières sanguines...
L’homme est aussi fait de pensée, d’idée et d’inconnus. Quand on entend pour la première fois la musique de ce personnage, on reste sidéré, pétrifié sur place, le corps tout entier s’immobilise, tous vos sens sont bloqués dans une impasse, seul l’ouïe reste en fonction, tirée, focalisée sur un incessant flux de sons, où le temps du silence est banni à tout jamais, reclu parmi les partitions d'un passé ô combien trop lourd à porter pour tous les jeunes musiciens. Fred Van Hove, lui, continue sa quête, jouant de son piano comme s’il par1ait, criait, chantait, soufflait, s'énervait chuchotait, un piano que Fred Van Hove foudroie, pulvérise, écrase, pousse dans ses retranchements, un piano non préparé qui se libère de ses contraintes mélodiques, un piano de l'improvisation.
Depuis longtemps au cœur de cette improvisation, Fred Van Hove ne cesse de côtoyer de nombreux improvisateurs tels que Steve Lacy, Anthony Braxton, Joëlle Léandre, Ned Rothenberg, Douglas Ewart, George Lewis, Butch Morris, Peter Brötzmann et d'autres, sa vie (musicale) est donc vouée à l'improvisation comme maître à penser, comme source d'inspiration interne, propre à son cœur, à son ventre, à sa tête. L’improvisation comme moyen de parvenir vers ce mystère que l’on touche sans arrêt du bout des doigts mais qui à chaque fois se perd dans le brouillard de nos propres pensées, de nos propres vies. Flux est comme son nom l’indique un flot, un mouvement continu de musique, ici ce sont les sons et les notes du piano que l'on entend en flux continu, comme une coulée de lave, un torrent de folie, une tempête de notes distordues, une longue traversée d'un monde inconscient terrifiant et attirant, où l'on passe d'un free jazz complètement alambiqué à de la musique sérielle vraiment endiablée avec un goût d'expérimentation corsée. Deux improvisations, deux enregistrements, deux mains, un seul homme, une seule musique, celle de Fred Van Hove qui entre une Dérive et un Ruwe Ruimte vous obligera à l’écouter dire ce qu’il pense de ce monde dans lequel il vit.
Julien Ottavi l Fœtus l Juin 1999


Tout se joue hors du temps, exactement comme lorsqu'on fixe la surface d'un torrent : par delà l'uniformité trompeuse du spectacle, on commence par s’étonner devant l'intensité des flux : ça n’arrête pas de couler. Devant la violence des débits : ça éclabousse, ça bouillonne, ça jaillit... Pour embrayer sur cette métaphore aquatique, ajoutons que l’oreille (l'œil) est toute entière accaparé par ces masses liquides, impalpables, qui se forment et se déforment a chaque instant et, face aux hypnotiques mouvements ondulatoires de ces îlots, s'émerveille.
En fait, on n'écoute pas ces deux solos de piano l’œil ouvert : face à l'ivresse des flux, il ne nous reste qu'a plonger au dedans pour mieux se laisser ballotter, divaguer, dériver: détours abruptes, lignes de fuite en forme de méandres ou de cascades, bousculades vers l'absurde, tâtonnements vers l'intime...
Tout se joue dans l'émotion, forcément. Palpitations intenses, martelées ou murmurées ébullition des sons... Il émane de ce personnage discret, d'apparence presque timide, une énergie sans concession, énergie qui nous est transmise, vivifiante, qui régénère un bel exemple de potlatch. On en sort saoulé, groggy, on se surprend à constater un instant la pâleur du vide lorsque la musique s'arrête.
Un disque tout jeune, et déjà un monument : déjà nécessaire.
Marc Sarrazy l ImproJazz l Janvier 1999


Le passage à la trappe du free jazz a au moins une conséquence positive: un écrémage radical. Et il y a beaucoup d'atouts à mettre au crédit des musiciens qui se livrent encore à ce lyrisme courageux: ils naviguent contre l'air du temps, et ils ont le plus souvent accumulé travail, pratique et réflexion. Fred Van Hove est de ceux-là, et ce concert de piano solo, enregistré aux Instants Chavirés, étonne de beauté, de maîtrise et d'imagination. Sous le sceau de la contradiction, cette musique se place sous le parrainage d'éléments naturels: l'eau (le titre Flux) et le feu (la photo de couverture). De fait, cet art est torrentiel, et d'un torrent, qui ne s'économise pas. Il vous déborde, vous inonde, vous suffoque parfois quelques instants sous son abondance et son impétuosité. Mais ce goût de l'excès n'est jamais brouillon. Fred Van Hove sait se laisser emporter, ouvrir ses vannes, ralentir, et régler son débit. Pas de hoquets: l'injection est parfaite. Le rapport à l'instrument est original, mais sans détournement: c'est bien d'un piano classique qu'il s'agit. Pas de logique harmonique, mais pas de cluster non plus. Une ligne essentiellement monodique, avec ses trouvailles, ses accents, ses détours, que l'on suit avec passion et halètement tout au long de ces 95 minutes. Est-ce trop? Est- ce difficile? Pas du tout! La musique vous porte, vous nettoie les oreilles et l'esprit. On en sort un peu nettoyé de la grisaille ambiante.
Yvan Amar l Jazzman l Décembre 1998


Pianiste, accordéoniste, organiste (d'église), joueur de carillon, chef d'orchestre, improvisateur, compositeur, Fred Van Hove, né à Anvers en 1937, est 1'un des musiciens "historiques" de la free music en Europe. Depuis le milieu des années 60, il affirme son appartenance à sa terre, à ses racines européennes, et son immense besoin de liberté formelle. Ses performances (le terme n’est pas usurpé tant sa relation physique au clavier laisse entendre d'énergie, de don de soi) seul au piano sont des modèles d'inventions instantanées.
Deux pièces d'un jet, deux disques, un peu plus d'une heure et demie de jeu sans influences, en flux et reflux, dénuées de la violence et de l'exacerbation du "je" qui sont trop souvent les seules références attachées au free jazz. Van Hove parcourt l'ensemble du clavier en un mouvement incessant, d'une grande lisibilité, en lignes parfois brisées par des traits virtuoses qui n'oublient jamais l'essence de la musique, son pouvoir d'évocation et de communication.
Sylvain Siclier l Le Monde l 28 novembre 1998


reviews

Belgium's Fred Van Hove proves why he is one of the great sonic architects of piano improvisation on this excellenl solo project. His virtuosity is most evident in the dazzling élan of Ruwe Ruimte. Even more impressive is the massive sound that he generates so brillantly in the mesmerizing repetition of descending circular motifs in Dérive hammering the keys with a densely percussive technique that etches each note with solid gravity. Certainly this is Van Hove's brooding, signature sound explored in his furiously pounded crescendos in Ruwe Ruimte. Van Hove also shows himselt to be a vibranl impressionist, stripped of sentiment in those inlertudes of shimmering lyricism in Dérive and Ruwe Ruimte. The sustained brilliance of his prepared piano near the conclusion of Dérive shows a refined mastery and elegance that makes many other practitioners sound crude in comparison.
This is uncompromising, wonderful music. Highly recommended to all adventurous souls.
David Lewis l Cadence l April 1999


The two CDs of Flux, the first called Dérive, the second Ruwe Ruimte, are exquisitely sustained performances of radically different character. Dérive is a continuous evolution of different approaches to the piano, lyric and tumultuous, interior and exterior. The shorter Ruwe Ruimte is more compressed, its shape less a suite than a grand sonata, its first twenty minutes a kinetic onslaught on the keyboard that combines blistering overlapping runs.
What emerges from the two CDs of Flux is the sense of a complete music, of a musician who has pressed the art of piano improvisation to include at least two histories, each complete in itself. One is an inventory of what has unfolded in time, some of what you might find in an official history of the instrument. It comes through in Van Hove's mastery of a variety of styles and his astuteness to traditional piano mechanics. He possesses the sweep and harmonic fluency of late Romantic piano music, along with a subtle sense of touch and a highly developed pedal technique. The other history is one of "real time," the possible charting of a mind and world in flux - a profound encounter with the moment, for player and listener alike, in which the music is an infinitely detailed account of synapses and air, processes neurological and perhaps even meteorological. Hence the profound distinctiveness of these two performances. ln this sense, the Van Hove performance, witnessed "Iive" or as heard on the recordings from Les Instants Chavirés, does not brook segmentation - it is literally a whole. Van Hove is a master of articulation – not only of the rapid fire attack, but of the gentler shades of the piano - a master of life's richest moments, when the sweet and the thunderous collide.
Stuart Broomer l Coda l March 1999


Perhaps best known as the pianist on Peter Brötzmann's seminal Machine Gun, Belgian Fred Van Hove has been playing improvised music for the greater portion of four decades. To know him solely from his Brötzmann associations is to only get a fraction of the picture. The past few years alone have found him leading his own nine-piece group, touring in a trio with Luc Houtkamp and Gert-Jan Prins, recording on a church organ in duo with the trombonist Bauer brothers, and most recently recording this live piano session.
Recorded in France, Flux finds Van Hove fusing all of his devices over two tumultuous and often exhausting pieces. While he is a player capable of great sensitivily, the impression that remains after the last notes float out of the speakers, is that of a pianist projecting a narrative of thorny, white-knuckled dissonance. These two pieces are a voyage through constantly shifting terrain, oflen exploring the darker sonorities of the instrument in cacophonous waves that swirl and swell in abrupt orchestration. The cliché would be to suggest that Flux is not for the faint of heart, but then again, what exhilarating music is?
Jon Morgan l Signal To Noise l March 1999


This remarkable Belgian pianist has produced two new releases issued on separate labels: Passing Waves (see AAJ review Jan. 1998) on Nuscope records and this 2 CD “live” set titled Flux on Potlatch records.
On Disk 1, Van Hove performs a piece called Dérive which clocks in at 52 minutes. Once again Van Hove performs solo piano and the results are mind-boggling as one would expect. Van Hove utilizes huge muscular block chords to develop extremely complex phrasing while evolving into dialogues with left and right hand as if there were two pianists performing concurrently. Here, Van Hove’s methodical approach is exquisite and consuming. Ideas are executed in what seems like milliseconds and his ability to implement at such a rapid pace without losing momentum is breath taking. Vivid imagery prevails while Van Hove keeps the listener on edge with a sparkling sense of drama combined with lightning fast movement and endless execution of fresh ideas.
On Disk 2 his lengthy piece titled Ruwe Ruimte follows suit with blazing hand speed and massive crescendos emphasized by his fist periodically slamming the piano for rhythmic accent. Van Hove is not without a sense of humor and wit. His phrasing at times appears to be frisky and jovial. Ruwe Ruimte takes on a percussive feel while Van Hove pursues several diverse avenues in almost simultaneous fashion.
Throughout this recording Van Hove’s imagination appears to be in turbo mode as if he were possessed by spirits or in a deep trance. Fred Van Hove is a modern day master of free-improvised music. Flux is yet another Van Hove masterpiece that should be deemed required listening for advocates of modern music and students of the piano.
Highly Recommended.
Glenn Astarita
l allaboutjazz.com