La Pièce
Kristoff K. Roll l Xavier Charles

track listing
Le couloir sans papier peint (5:06) l Grange nocturne (8/01) l Casco de hacienda (15:03) l Lavomatic (3:30) l L'ascenseur (4:57) l Le petit salon moutarde (13:00) l La chambre (7:39)
L'orangerie la brume, le matin sur le Bosphore

personnel
Kristoff K. Roll:
Jean-Christophe Camps, Carole Rieussec electroacoustic devices
Xavier Charles clarinet

Recorded by Francois Dietz at CCAM, Vandœuvre in February and October 1999.

texte de pochette
liner notes
chroniques
review

texte de pochette  

Faut-il rappeler que dès la fin des années quarante, quelques compositeurs, notamment Bruno Maderna, puis Luigi Nono et d’autres encore, intéressés par la relation musique sur bande/musique instrumentale, se sont mis à expérimenter les possibilités offertes par la confrontation des sons d’artifice de la bande magnétique, amplifiés, modulés, mixés, manipulés avec les sons naturels de l’instrumentation acoustique. Ces recherches provoquèrent de nouvelles approches de pensée musicale chez un grand nombre de compositeurs issus de l’école post-sérielle.
Cette musique écrite, préparée, laissait une certaine marge de liberté de mise en œuvre qui ne tardera pas à être exploitée, notamment par le MEV (Musica Elettronica Viva), l’immédiateté appelant nécessairement une part plus large d’improvisation dans la combinaison bandes/instruments. A la fixation, la clôture, le contrôle intégral, se substituèrent la mobilité, l’ouverture, le risque.
C’est à travers la logique rectiligne de cette démarche, que les Kristoff K.Roll vont recueillir sur le terrain le matériau qui sera traité par l’électroacoustique. Ainsi, ils s’approprient des sons de rencontre de leur univers culturel ou d’autres plus loin d’eux, à la fois spectateurs et acteurs de pièces qui font appel à des bruits de voix humaine, de grognements de chiens, portés par un souffle constant, tissé de bruissements et crépitements divers, de slogans de manifestations... savamment assemblés ensuite à des sons électroniques et soumis à de nombreuses mutations. Contrairement aux « live electronics », notamment dans les récents travaux d’Evan Parker avec l’Electro-Acoustic Ensemble qui portent leur intérêt sur la recherche de sonorités nouvelles en temps réel, les Kristoff K.Roll, avec la clarinette de Xavier Charles interférant dans les textures préalablement enregistrées, créent une musique où prime l’image sonore, avec ses qualités d’espace, de matière, de densité.
Leur association tient d’une veine aérienne, dans un espace en profondeur où les sources sonores sont rigoureusement positionnées, parfois étonnamment proches, parfois à une distance qui s’étire au loin jusqu’à l’effacement ; sensations de déplacements qui nous conduisent dans un itinéraire où les climats successifs se superposent. Parfois, les silences alternent entre les dispositifs électroacoustiques et quelques bribes de phrases d’une clarinette nue, emplie d’une sobriété radicale, qui immerge l’auditeur dans une lente évolution de sons et de mouvements abolissant le temps et laissant l’esprit glisser vers un calme bien tempéré...

Théo Jarrier


liner notes

As I get older I get out less. This is largely the result of having small children and many domestic duties. Staying in changes how I listen to music. In previous decades music that I sought out socially in concert halls, clubs and festivals always appeared celebratory, regardless of its intent: as if its very structure and aesthetic were determined by its location. Staying in — listening to music mostly on headphones in snatched, private moments — renders the music private.
The music on this CD sounds like it doesn't get out much and I admire it for that. It seems content with its narrowed social world — or is that me? That is not to say that it's self-regarding. It appears to afford an array of perspectives on the notion of the social.

It has always seemed to me that music's most active meanings are those the listener wrests from it, interpretations ‘wrought from social activity', as Simon Frith has put it. With social activity comes a host of histories — of identity, of circumstance, of listening —in my case, of almost thirty years of listening to electronic music, electroacoustic music and free improvisation. These broad genres characterise much of the music here. The improvisations of clarinettist Xavier Charles are by turns ruptured, invisibly mended and reconfigured by the ‘acousmatic pratique' of Carole Rieussec and Jean-Christophe Camps.
Those almost-thirty years seem to make this music mine. Up to now, I've largely heard music as ‘other' — as the music of composers, of performers; the music of external purpose, narrative, form — genetically or descriptively ‘of’ someone or something else.

The qualities that reside in this music reveal themselves to me as elements in a set of social relations, completed by my own self. La Pièce is the music of this particular listener. Its title is replete with meaning for me. La Pièce : the room (the domestic, the private); the play (a drama completed by my participation as listener); the part of a mechanism or a machine (its sound sources and their manipulation; again, a part that is made whole by the listener); a fragment (ditto).
Note the definite article: ‘La'. This is not any instance of the above; it is THE instance. In an inconspicuous corner of the living room sits this music in a chair that fits it perfectly. Comfortable yet far from complacent. Undemonstrative but able to make the most expansive gestures with utter facility. Never histrionic, yet not afraid to assert what is necessary. Apart, but in the thick of it. I will only ever hear this music on headphones. This is the best music I've (n)ever made.

Chris Atton


chroniques

Le disque sorti sur le label Potlatch de Kristoff K.Roll et Xavier Charles s'inscrit dans un même rapport à l’électroacoustique, rapport historique qui renvoie aux pratiques subversives de MEV ou de Walter Marchetti, quand la frange la plus libertaire des avant-gardes historiques s'opposait sur le plan des idées et des formes aux discours policiers de la musique post-sérielle. Ils ne restent cependant pas les otages d'une histoire dont nous serions quelques uns à fantasmer, parfois à commémorer, les conditions historiques ne sont plus les mêmes, tout leur travail était à inventer sur les sons d'un présent qui fuit.
Le projet électroacoustique de La Pièce est redéfini par la présence de la clarinette de Xavier Charles qui apparaît comme l'oiseau dans la cage, imposant la confrontation entre deux plans de réalité acoustique. Figure de l'humain, de ce qui le prolonge, souffle passant dans l'instrument, presque visible, c'est le corps qui met le son en jeu, en mouvement, sa place dans ce théâtre sonore qui imprime l'air, le troue, la place des mains et des lèvres, ça on peut le comprendre, s'y reconnaître. Une clarinette est pourtant déjà une technologie, presque une machine (même si a vent). Autour qui l'enserre, le dispositif de Carole Rieussec et Jean-Christophe Camps, dé/construction des technologies qui aliènent, patient travail sur le passage du temps, les bruits du monde qui changent, la roue de bicyclette de Duchamp qui passe en grinçant.
C'est au sous-sol de Dostoïevski, à la chambre de Kafka, que La Pièce renvoie, faisant tomber les derniers plâtres de la modernité. Un disque rare qui s'inscrit dans une internationale de l’electroacoustic device contre l'uniformisation annoncée dans le grand corps digital d'AOL et de Warner.
Michel Henritzi l Revue & Corrigée l Mars 2000

Les Kristoff K. Roll (soit Jean-Christophe Camps et Carole Rieussec) confrontent ici leurs dispositifs électroacoustiques avec la clarinette de Xavier Charles. Contrairement à la démarche de l'Electro Acoustic Ensemble d'Evan Parker (sur le traitement des sons en temps réel), c'est à partir d'éléments sonores recueillis préalablement que se construit l'espace. D'où les liens qui les unissent avec certains improvisateurs (Xavier Charles ici, Daunik Lazro ailleurs), travailleurs d'une matière sonore éruptive. C'est dans la granité des sons, les crépitements qui se déploient en plusieurs niveaux que se dévoilent des mondes transgressifs. L'envol prend corps dans le feulement des textures, comme un acte de présence au monde.
Thierry Lepin l JazzMan l Mars 2000


review

"First you record the metal, springs or whatever, but as soon as you can't see them anymore you're listening to tapes and what they have to say. You're not listening to images anymore. Use sounds as instruments, without causality. It's no longer a clarinet or a spring or a piano, but a sound with a form, a development, a life of is own." Think a bit about Luc Ferrari's definition of the working ideology of musique concrete, and you'll see that there is much common ground between that and free improvisation, common ground which La Piece sets outs to explore
Kristoff K.Roll is not an eccentric German one-man band, but a duo consisting of Jean-Christophe Camps and Carole Rieussec (hence the name), billed as playing 'electroacoustic devices', namely the famous objets trouvés themselves, live transformations thereof, fixed (sampled) sounds and prerecorded material. Though their work represents a logical outgrowth of the sonic experimentation of the GRM and its founder members, I wonder what Pierre Schaeffer would have made of the twiddling, tweaking, crunching and squeaking of KKR and other like-minded spirite such as metamkine's Jérôme Noetinger.
On closer listening, however, there is a finesse and sureness of touch in KKR's work that frequently belies the real-time origine. Add to this the granular, insect flutterings of improvising clarinetist Xavier Charles (La Pièce was first presented live in 1998 at the Fruit de Mhère Festival), and the stage is set for over an hour of fascinating music. A clarinet, as opposed to a saxophone, seems to take the music more into the soundworld of contemporary composition (snippets taken out of context could pass for Boulez's Dialogue De L'Ombre Double or Pousseur's Madrigal III), though just when you might be fooled into thinking this was some deadly serious offering from a nerdy IRCAM technicien, the KKR duo throw in a barrage of dog barks, or, as in Le Petit Salon Moutarde something that sounds as if a food processor has been implanted behind your eardrums and is slowly but surely mashing your brain to a bloody pulp.
Dan Warburton l The Wire l June 2000